Interview dirigeant
Gautier Lebail (Plateau Urbain)
Cette semaine, nous interrogeons Gautier Le Bail, Co-gérant et Directeur Technique de Plateau Urbain, une coopérative d’urbanisme transitoire qui propose la mise à disposition d’espaces vacants pour des acteurs culturels, associatifs et de l’ESS. Plateau Urbain, créé en 2013, emploie plus de 35 collaborateurs et a mené à bien une trentaine de projets d’occupation transitoire depuis sa création.
Bonjour Gautier, peux-tu nous présenter rapidement ton activité ?
Je suis Co-gérant et Directeur Technique chez Plateau Urbain, une coopérative d’intérêt collectif spécialisée dans l’urbanisme transitoire. Le projet a été initié en 2013 – d’abord sous une forme associative par Simon Laisney, co-gerant et Directeur Général actuel – puis sous forme de coopérative d’intérêt collectif depuis 2017.
Nous sommes partis du constat qu’il y avait beaucoup de m2 vacants en Ile-de-France, près de 4 millions. Et en face il y avait beaucoup de porteurs de projets en recherche de locaux.
Ces deux mondes n’arrivaient pas à se rencontrer et le but était de les mettre en lien. 2 ans plus tard, cela a abouti sur le projet des Grands Voisins en 2015.
L’objectif est de faire de l’occupation temporaire de locaux vacants et de pouvoir fédérer des acteurs de tous milieux : associatifs, entrepreneuriaux, artisanaux, économie sociale et solidaire… Nous créons des lieux temporaires où la synergie peut se développer entre tous les publics et mettons en place des partenariats avec des associations d’hébergement temporaire tels que l’association Aurore.
Nous nous s’efforçons de dupliquer ce modèle et de redessiner les usages et les modes de fonctionnement dans nos villes en créant davantage de lien sur un principe de résilience mais aussi de solidarité. Nous sommes dans l’expérimentation et la diversité à travers les lieux occupés, les structures, les personnes, les projets…
Aujourd’hui, Plateau Urbain propose 3 offres :
- l’occupation transitoire de locaux vacants, notre métier historique
- du conseil en stratégie d’urbanisme temporaire. En effet, nous n’occupons pas systématiquement les locaux vacants. Nous pouvons également étudier pour le compte des collectivités les possibilités d’aménagement et d’occupations transitoires de lieux vacants qui leur appartiennent.
- de l’événementiel dans des sites temporaires dédiés.
À quoi ressemble ton quotidien ?
Mon quotidien est très varié. Nous sommes tous des couteaux suisses ! Le lundi après-midi, nous avons nos réunions de direction où s’exprime davantage mon rôle de co-dirigeant. Nous passons en revue les projets et nous prenons les décisions.
Le reste du temps, j’enfile ma casquette de Directeur technique. Je supervise la planification des travaux et de réhabilitation des locaux avec les entreprises et manage des équipes et des partenaires techniques. Je travaille en binôme avec Charlotte Gondouin, qui supervise les Responsables de sites. Depuis que la structure a grossi, c’est elle qui s’en occupe, ce qui m’a permis de me recentrer sur mon rôle de direction technique.
Enfin, j’ai une 3e casquette qui est liée au Pôle Etudes. En tant que Directeur Technique, je participe aux réponses aux appels d’offre des collectivités sur des projets d’aménagement transitoire.
Quelle est la plus grande erreur que tu aies commise en tant que dirigeant ?
Peut-être de ne pas avoir été assez réactif sur certains projets. Pour moi il est important de toujours prendre le temps de peser le pour et le contre avant de prendre une décision. Souvent cela évite les mauvaises surprises mais cela peut aussi avoir des répercussions sur un projet.
J’ai beaucoup appris sur ce point. Maintenant, je fais en sorte d’éluder plus rapidement les potentielles difficultés de certains projets en étant notamment plus à l’écoute de mes collaborateurs pour envisager des solutions plus rapidement.
Et ta plus grande réussite ?
C’est surtout la réussite collective de Plateau Urbain. Quand je regarde le chemin parcouru en 5 ans, nous sommes passé de 2 à 40 collaborateurs, en comptant nos 5 stagiaires. Je suis fier d’avoir réussi à fédérer cette équipe autour d’un projet commun.
Une autre réussite : avoir réussi à prouver que l’occupation temporaire pouvait fonctionner. Nous n’avons peut-être rien inventé mais nous avons réussi à outiller une démarche de manière à la rendre duplicable. Le projet des Grands Voisins nous a permis de débloquer tous les verrous des institutionnels et des propriétaires privés : l’inconnu, la peur, le manque de confiance.. Nous leur avons prouvé que l’occupation temporaire fonctionne !
Enfin, je suis fier d’avoir réussi à démontrer qu’il était possible de faire fonctionner ce modèle tout en prenant du plaisir ! Nous avons même inventé un terme : la stabilité aventurière. C’est-à-dire pouvoir tester, expérimenter tout en étant costaud, avec un bon équipage. Il faut réussir à emmener tout le monde, avec un bateau solide, et conserver ce côté un petit peu naïf !
Comment vous préparez-vous à l’avenir ? Avez-vous élaboré une stratégie ? Est-elle matérialisée par un plan d’actions ?
En tant que coopérative d’intérêt collectif, nous avons une AG annuelle avec l’ensemble des sociétaires. Y participent évidement les collaborateurs mais aussi des sociétés externes qui ont rejoint notre sociétariat : des associations comme Aurore, des investisseurs comme Novaxia, d’autres coopératives comme Villages Vivants, la Maïf, des acteurs du logement social comme Aquitanis…
Chaque année, nous présentons le bilan de la structure, nous validons les comptes et le rapport d’activité et nous débattons collectivement de l’avenir et du budget prévisionnel. Sur la partie stratégique et financière, nous anticipons beaucoup les choses et nous nous fixons des objectifs financiers. Nous avons d’ailleurs un poste de contrôleur de gestion en interne.
Les sites que nous occupons influencent notre stratégie. Tous nos sites ont une histoire à raconter. Nous avons une feuille de route générale mais chaque lieu ouvre de nouvelles opportunités. Nous nous interrogeons collectivement pour savoir comment rassembler les publics en fonction des spécificités de chaque lieu, comment créer du lien, de l’emploi, quelle expérience créer… Entre un ancien hôpital au coeur du 14e arrondissement les anciens entrepôts d’Universal Music à Antony, les publics et les lieux ne sont pas les mêmes.. Les Responsables animent, administrent et sont en charge de ces lieux. Ils leur donnent vie en y mettant leur patte personnelle. Nous les invitons à prendre part activement au projet du lieu qui est finalement le leur pendant le temps de l’occupation.
Comment tes collaborateurs contribuent-ils à la mise en oeuvre de ta vision stratégique ? Et comment cela influence t-il le management ?
Tout le comité stratégique (8 personnes) suit une formation en management depuis 3 mois en session d’une journée. Nous venons y chercher des techniques et améliorer nos pratiques. Ce qui nous manque, selon moi, c’est du cadre non pas pour limiter mais plutôt pour permettre une plus grande liberté, une plus grande autonomie à chacun des collaboratrices et collaborateurs investi.e.s dans le projet de Plateau Urbain.
Côté management, les collaborateurs sont impliqués au quotidien. Chacun d’entre eux peut ajouter un sujet à l’ordre du jour, que ce soit lors de la réunion stratégique du lundi ou lors de la réunion de suivi de projet qui a lieu une semaine sur deux. Au sein de chaque pôle, c’est la même logique. Nous avons une réunion de pôle tous les 15 jours au cours de laquelle chacun est libre de mettre un sujet à l’ordre du jour.
Et puis, évidement, il y a également l’assemblée générale annuelle où tous les sociétaires sont conviés. Nous fonctionnons sur le principe du 1 personne = 1 voix avec une prédominance du collège des salariés à qui reviennent les décisions finales.
Comment fais-tu pour rester en lien avec les nouvelles attentes des collectivités et clients ? Et avec ton marché ?
Nous faisons beaucoup de veille, c’est notamment l’une des missions du Pôle développement. Nous échangeons beaucoup avec les propriétaires des bâtiments, qu’ils soient institutionnels publics ou propriétaires privés.
Nous organisons régulièrement conférences et de colloques autour de l’urbanisme transitoire et nous participons aussi très souvent à ce type d’événements. Nous sommes invités pour raconter, pour témoigner. Nous essayons d’être un acteur de la réflexion sur l’avenir de l’urbanisme transitoire et de manière plus générale de la ville et de ses usages. Nous venons par exemple de publier dans Le Monde une tribune avec 40 acteurs de la ville et de l’immobilier pour inciter les collectivités à mettre à disposition 20% de leurs locaux aux acteurs de l’ESS et de la transition environnementale au prix des charges.
Nous partageons énormément d’informations. Pour la veille, nous utilisons notamment Slack qui est un vrai vecteur de communication. Nous avons une chaîne de veille qui nous permet de suivre les mouvements de marché et d’organiser des débats en comité pour en discuter.
Notre marché, l’immobilier, est en pleine mutation. Notamment avec toutes les entreprises qui risquent de fermer et de créer un nouveau flux de locaux vacants. C’est une période incertaine. Cela va complètement redessiner notre marché. Nous allons surement devoir changer de positionnement et affirmer davantage qui nous sommes, nos valeurs et ce que l’on défend par rapport à des concurrents qui ne manqueront pas d’émerger. Mais globalement, il y a plein de bons signaux pour nous en ce moment.
Quelle est l’action marketing ou commerciale qui a permis à la structure de franchir un cap et pourquoi ?
Nos expériences réussies ont été notre meilleur moyen de communication. Les Grands Voisins ont eu une énorme couverture médiatique, avec des articles presque chaque semaine, en France et à l’international. Nous avons eu une double page dans le Monde, dans Télérama, un reportage sur LCI… C’est une communication totalement gratuite. Cet engouement médiatique nous a permis d’être identifiés comme acteur de l’hébergement transitoire et de gagner en notoriété. Il y avait probablement un côté « mode » dans tout ça mais ce que nous faisons, pour nous, l’urbanisme transitoire, c’est l’avenir et c’est pour cela que nous essayons de mettre davantage de consistance dans ce que nous faisons.
Pour être transparents, nous devons encore nous améliorer en termes de communication.Nous avons d’ailleurs embauché une personne exclusivement dédiée à la communication, ce qui n’était pas du tout le cas durant les 5 premières années de l’aventure Plateau Urbain. Avec cette embauche plus de moyens, nous avons d’ors et déjà développé sensiblement notre visibilité notamment sur les réseaux sociaux. La communication chez Plateau Urbain n’est pas évidente car nous nous adressons à beaucoup de publics différents, ce qui peut brouiller la communication. Nous avons surtout concentré notre travail sur notre “offre” . En termes de marketing, nos solutions sont bien travaillées.
À quoi penses-tu que le futur des entreprises ressemblera ?
Forcément plus de télétravail pour tous ceux qui sont dans les services. J’ai envie de croire à plus de confiance dans les collaborateurs car pour moi, il ne peut pas y avoir de télétravail sans confiance. Il faut bien sûr garder du lien avec les collègues, sinon il n’y a plus d’essence ni d’énergie collective mais il faut de la flexibilité dans la manière d’organiser notre propre planning, d’être plus responsable et autonome individuellement. Que les gens se sentent bien. C’est plus responsabilisant, plus épanouissant. Et plus tu es épanoui, plus tu apportes au projet collectif.
Je crois aussi à la possibilité d’être plus mobile, de désengorger les métropoles et de développer les territoires. En même temps, c’est aussi ce dont j’ai envie (rire). Nous sommes une équipe assez jeune. Nous avons tous fui le travail « classique », où l’on vient tous les jours au travail, derrière notre bureau, sans véritable sens. Nous avons envie d’autre chose. Nous essayons d’être militants là dessus et d’inventer des manières alternatives de faire les choses.
Si tu devais donner un seul conseil à un dirigeant, quel serait-il ?
Il faut faire confiance. Il faut donner un cadre et faire confiance aux personnes avec qui l’on travaille. S’il n’y a pas de confiance, il n’y a rien. Et rester optimiste aussi !
Et pour conclure, qu’est ce qui te donne encore l’envie de te lever le matin ?
Le métier que je fais. Je suis super content de me lever le matin. Je suis très satisfait et fier de ce que l’on accomplit chaque jour tout en gardant une bonne dose d’humilité car il reste encore beaucoup à faire !
Nous avons encore 1000 projets à expérimenter demain. Même s’il y a un quotidien, il y a tout le temps de nouveaux challenges. Et j’aime aussi rencontrer de nouvelles personnes. Toutes les rencontres que nous faisons sur nos lieux ont toutes quelque chose à nous apprendre.